Les artistes sont-ils nécessairement fous ?

Incompris, trop émotif ou s’exprimant dans un langage autre que celui des majorités, l’artiste a souvent été qualifié de fou. Au fil des siècles un lien entre pathologies psychiatriques et création artistique s’est créé, restructuré, brisé, mais toujours reformé dans la conscience collective.

 

Au début de l’Antiquité l’artiste est purement et simplement un artisan, on ne se préoccupe ni de son mode de vie ni de sa santé mentale. C’est Aristote (IVe siècle avant J-C) et son écrit L’Homme de génie et la mélancolie (la mélancolie étant un équivalent de ce que nous appelons aujourd’hui la folie) qui est le premier à se questionner sur la relation existante entre artiste et démence. A l’époque, le philosophe fera la différence entre « mélancolie temporaire » et « constitutionnelle ». La première provoquerait une certaine stimulation chez l’Homme, qu’on appellera notamment plus tard la « folie créatrice », contrairement à la seconde.

Puis au Moyen-Âge, une nouvelle fois, on ne s’intéresse que très peu à la condition de l’artiste qui était considéré comme un ouvrier.

 

À la Renaissance, la conviction qu’une liaison entre folie et création artistique existe, refait alors peu à peu surface. 

Mais l’apogée de cette théorie survient au XIXe siècle avec le romantisme français. L’émotion prend alors le pas sur la raison dans le processus créatif, et « Le Mal du siècle » devient l’un des thèmes principaux de ce mouvement, reflétant pour certains, la folie dont souffrent des artistes tel qu’Alfred de Musset ou Chateaubriand.

 

C’est un siècle plus tard, que le rapport entre l’art et la folie change fondamentalement. Sous l’impulsion de médecins inspirés par les travaux de Philippe Pinel (1745-1826), souhaitant mettre fin aux traitements brutaux des maladies psychiatriques, l’utilisation de l’art thérapie pour apaiser les patients se répand. La corrélation entre la folie d’un individu et son désir de création est  une théorie alors remise en question. 

 

Durant cette même période, en 1945, le peintre Jean Dubuffet emploie l’expression « art brut » pour la première fois. Celui-ci caractérise les créations de personnes dépourvues de toute culture artistique, des marginaux : prisonniers, anarchistes, ouvriers, malades mentaux… Dubuffet constituera une collection d’oeuvres en parcourant les hôpitaux psychiatriques de France et de Suisse. Devenu le musée d’art brut de Lausanne, on y retrouve notamment des créations d’André Robillard, Paul Duhem, ou encore Rosemary Koczy. Il y renverse alors les vérités préétablies : un artiste n’est pas nécessairement celui qui a appris l’art mais plutôt celui qui détient l’art en son fort intérieur. Il n’est pas fou, mais au contraire un individu réfléchi qui ne respecte pas les codes académiques et crée au gré de ses pensées.

La création de ce mouvement permit ainsi à des individus jusqu’alors isolés, d’obtenir le statut d’artiste, bénéficier d’une image différente et ainsi de s'intégrer à la société par la voie de la culture. 

 

Aujourd’hui encore, de nombreux hôpitaux psychiatriques constituent une collection d’oeuvres de leurs patients et créent des lieux pour les exposer au sein de leur structure. C’est le cas du centre hospitalier Montfavet Avignon. Ce lieu qui abrita entre autres la sculptrice Camille Claudel, propose trois expositions permanentes pour sensibiliser au milieu hospitalier (psychiatrique) mais également mettre en avant le rapport entre les malades et la création artistique.

 

Le plus remarquable de ces lieux d’exposition en France est sans doute le Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne (MahhsA). Ouvert au public dès 1946, il accueille chaque année des milliers de visiteurs. Les expositions proposées par le musée ont pour effet de mettre en lumière les liens existant entre les créations des patients et celles appartenant à des courants artistiques reconnus. Ayant à coeur de mettre ces oeuvres à la disposition de tous, le MahhsA en a récemment mis en ligne une partie. Nous vous invitons vivement à les contempler depuis le site internet du musée : http://musee-mahhsa.com/accueil/

 

Bien sûr, les rapports entre la folie et les pratiques artistiques restent un sujet vaste. De Van Gogh à Antonin Artaud, de Séraphine de Senlis à Jeanne Tripier, les exemples sont nombreux et les parcours aussi différents que les oeuvres proposées. 

De ce que nous en avons retenu : l’Art n’est pas qu’une affaire de culture ou de classe sociale, il est l’expression de la sensibilité de celui qui propose, malade ou non. La création est un geste, une pratique intime séparée des intérêts culturels. Elle est sans doute la plus aboutie des expressions de notre liberté, et il n’appartient qu’à vous de sauter le pas. 

 

Si vous souhaitez en découvrir davantage sur le sujet nous vous invitons à visionner la conférence « Art et folie, quels lien ? » menée par Anne-Marie Dubois, psychiatre et psychanalyste à la clinique des maladies mentales et de l'encéphale, secrétaire générale du Centre d'étude de l'expression, Centre hospitalier Sainte-Anne https://www.franceculture.fr/conferences/palais-de-la-decouverte-et-cite-des-sciences-et-de-lindustrie/lart-des-fous

 

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